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Mardi 17 Janvier – Fukushima (ville de)
Matin Intervention dans l’école multilingue « Agora ». Le directeur M de Loviton est un Franco Québécois. On intervient dans un mélange de français d’anglais et de japonais. Je vais faire des mesures de radioactivité avec lui sur le parking au bord de l’école. Ma mesure est 3 fois inférieure à la sienne, il obtient la mesure faramineuse de 900 millisiviert par h. Il m’explique qu’une particule radioactive a dû entrer dans notre compteur et en fausse l’étalonnage. Je comprends alors pourquoi tout le monde emploi des compteurs recouverts d’un sac plastique. (Devenus inutile ce sera notre dernière mesure.) La mesure a été réalisée sur le parking de son établissement, pas à l’intérieur. Heureusement car ce serait très dommageable pour la santé des enfants. C’est signe que la ville de Fukushima est très contaminée. Il explique que contrairement à beaucoup de Japonais, il était très informé. Dés l’annonce de l’accident nucléaire, il a cherché des informations non gouvernementales notamment auprès du site américain « fairewinds.com/ ». C’est ainsi qu’il a appris que les pelouses étaient dangereuses et que moins d’une semaine après l’accident, il avait fait retirer la terre de la cour de l’école sur 50cm. Cela a coûté à son établissement l’équivalent de près de 7 000 (si je me souviens bien) mais il ne le regrettait pas car quelques jours plus tard, cette pratique était interdite et à la place la municipalité faisait gratuitement un toilettage plus symbolique que réellement efficace. Sans connaître le Vitapect, de son côté il s’aprovisionnait aux USA avec un produit équivalent, Apple Pectine 700mg de Now Foods pour sa femme enceinte.
Eric Cordier (extrait de son journal de voyage, à lire ici : http://ifmapp.institutfrancais.com/residences#f2_1073 , rubrique Téléchargements)
Carte de la contamination à Minamisoma réalisée par l’organisation Tchernobyl Kyûen Chûbu et des habitants de Minamisoma (janvier 2012)
Au début de l’année 2012, Eric Cordier a passé plusieurs semaines dans la région de Fukushima accompagné de Satoko Fujimoto, afin de réaliser une composition électroacoustique à partir de prises de sons et d’interviews : C’était un si beau jour, si calme.
» [Ce titre provient] d’une citation de Mme W collectée à Yumoto décrivant le 11 mars 2011 avant le séisme : « C’étais un si beau jour, si calme, vraiment la fin de l’hiver, j’étais à la maison et mon mari aussi, ce qui n’est pas fréquent. C’était comme un jour férié, c’était le jour de la remise des prix des collèges ».
Aujourd’hui, cette oeuvre électroacoustique est accompagnée d’une installation multimédia, parce que ce que contient et véhicule la pièce dépasse largement la dimension musicale. De France, les médias nous ont abreuvés d’images, mais assez peu de contenu. En me rendant sur place, j’ai énormément appris sur ce qu’est un séisme et un tsunami et sur comment s’est déroulée cette catastrophe nucléaire en particulier. » E.C
Eric Cordier participe également à une initiative baptisée Ringono menée par Satoko Fujimoto (côté France) et Tomoko Iwaki (côté Japon) pour mettre en relation des producteurs du département d’Aomori (nord de Honshu) avec des sinistrés de la vaste zone de contamination de façon à leur envoyer des pommes et un document d’information sur la radioprotection..
Ringono a joué un rôle important dans l’adaptation en japonais du film « Controverses nucléaires » de Wladimir Tchertkoff afin qu’il soit diffusé au Japon. Yôko Higashi en a réalisé la narration.
La version française de ce film sur internet :
http://enfants-tchernobyl-belarus.org/doku.php?id=films-interviews-debats (une mine de vidéos sur ce sujet)
En savoir plus sur Ringono ici : http://ringono.com/fr/
et là : http://www.prelerecords.net/debout-apres.htm
Lire les journaux de Eric Cordier sur son séjour à Fukushima
Dans le cadre de l’enquête »Engagement, Résistance, Usage Social » initiée par la revue l’Autre Musique, sur la participation au projet de Dominique Balaÿ « Meanwhile, in Fukushima », voici les réponses au questionnaire de Eric Cordier.
Pourquoi avez-vous choisi de participer au projet « Meanwhile, in Fukushima » ? En quoi« Fukushima» est-il un événement pour lequel on peut s’engager ?
Je n’ai pas choisi de participer au projet « Meanwhile, in Fukushima», j’ai d’abord monté un projet que j’ai réalisé et à mon retour, en mars je crois, ou avant, je ne sais plus, j’ai été contacté par Dominique. Il me restait encore à finir la musique… Il m’a semblé intéressant de répondre à la proposition de Dominique qui allait dans le même sens. Il est toujours intéressant de travailler dans la synergie.
En fait, vivant depuis 10 ans avec Satoko Fujimoto, qui est Japonaise, j’ai été (presque) aux premières loges lors de la catastrophe, en étant très bien informé, en captant son inquiétude face aux 48h de black-out, l’absence de nouvelles de sa famille dans ces premières heures, et son changement de comportement qui devenait exclusivement focalisé sur la catastrophe. Cela a contribué à ma décision, mais en corrélation avec le fait que j’avais au préalable visité en « touriste » les lieux de la catastrophe. Les éléments qui précèdent ne me paraissent même pas être des conditions suffisantes. Sans la connaissance du terrain, je ne me serais pas autorisé, en tant que Français, à faire un travail sur le « malheur des autres ». Sans cette connaissance des lieux, j’aurais été un peu à distance, mais le fait d’avoir connu le lieu même de la catastrophe change tout. Connaître le lieu de la catastrophe avant la catastrophe accroît le degré d’ « engagement » ou, à ce stade, je devrais dire d’ « implication » pour être plus précis.
En 2008 nous sommes allés à Iwaki et Minamisoma. En 2011, certaines parties d’Iwaki ont subi d’importants dommages et toute la partie côtière de Minamisoma a été entièrement rasée. Iwaki a été relativement épargnée par la pollution nucléaire, par contre Minamisoma était située à cheval sur la zone des 20km interdite alors (janvier 2012) et certaines parties de la ville (bien que situées dans la partie autorisée de la ville) connaissent des niveaux de pollution dépassant de plus de 1000 fois la radioactivité naturelle.
De connaître ces villes avant la catastrophe permet de mieux, non pas seulement éprouver, mais mesurer la catastrophe.
En 2008 nous nous étions rendus à Minamisoma pour enregistrer la fête du Nomaoi. Cependant, du fait de l’affluence, tous les hôtels étaient pleins, il n’était pas possible de dormir sur place et nous avions trouvé à nous loger seulement à 40km plus au sud, à Iwaki, près de le Gare. Ainsi, plusieurs jours de suite, nous avons emprunté le train qui traversait une région magnifique, à la fois en relief et sauvage, un train côtier qui desservait de minuscules gares. Un train qui gravissait des collines et qui, au débouché d’un tunnel dans la falaise, pouvait s’arrêter au fond d’une crique pour desservir un village. À mi-parcours, au-delà d’une vaste lande magnifique d’environ 1 à 2 km, j’avais remarqué ces cheminées et pylônes rayés de rouge pour prévenir les avions. C’était tout ce que je pouvais voir de la centrale de « Fukushima Daiichi » par la fenêtre du train, mais nous y passions chaque matin et chaque soir.
Ainsi, d’avoir arpenté Minamisoma plein de vie pendant les jours de fêtes, ne procure pas la même sensation que de le voir à moitié vide et dévasté. En constatant une catastrophe, on a beau se dire que des gens ont vécu ici, rien ne remplace le fait de les y avoir vus vivre.Tous ces éléments se sont accumulés et ont fait que j’ai ressenti la nécessité d’apporter mon témoignage et dans un second temps de le confronter avec le témoignage des victimes elles-mêmes.
Pouvez-vous décrire la pièce que vous avez proposée à « Meanwhile, in Fukushima » ?
La pièce est une pièce anecdotique, voire littérale et ceci d’une façon délibérée. Je ne procède pas ainsi habituellement, je n’ai pour ainsi dire pas d’habitude, ma démarche consistant à me renouveler tout en approfondissant un style. Je suis musicien, mais de formation « arts plastiques » et j’aime construire la musique à partir de dispositifs conceptuels. Ainsi, j’ai demandé à des victimes de la triple catastrophe de me décrire ce qu’était cette catastrophe et ceci surtout en termes sonores, à charge pour moi de retranscrire ce qu’ils me disaient (et non pas ce que j’imagine) et ceci à partir des matériaux enregistrés sur place. Ma liberté n’est intervenue que dans des choix, celui de prendre au pied de la lettre un détail et de le grossir ou de faire quelques omissions. Par exemple, utiliser ce que me disait un témoin tout en me faisant enregistrer un extrait de musique. Le fait qu’il ne parlait pas anglais mais qu’il me faisait sortir de son ipod le morceau Suddendeath du groupe Megadeath, dans une ville contaminée à côté de la raffinerie qui avait brûlé, je l’ai pris comme un signe et j’ai absolument voulu l’intégrer à la composition. A l’opposé, quand on me dit que, suite au séisme, tout était comme dans un film d’horreur américain, que le ciel de ce « si beau jour » s’est assombri, et qu’il est tombé de la neige avec un orage, je n’ai pas voulu faire de surenchère « dramatique » en mettant des coups de tonnerre, bien que d’après les témoignages, la réalité ait dépassé la fiction. Ma fiction à moi aurait drôlement frôlé le kitsch si j’étais allé jusque-là.
La pièce est en 7 parties.
0 Prologue
Le prologue est le simple field recording d’une alerte au séisme, enregistrée en 2012 sur la route entre Nakoso et Iwaki.
1 Nomaio
C’est Minamisoma avant la catastrophe. Un jour de fête, le public qui parle, les soldats à cheval qui paradent, les antiques conques qui re-sonnent. Un jour de fête ? Je crois que je n’ai pu m’empêcher de distiller une certaine tension, un certain malaise sous-jacent à l’insouciance d’un moment de joie enregistré en 2008.
Les parties 2 à 5 répondent parfaitement au dispositif préétabli :
2 le séisme
Dans cette partie, je reconstitue scrupuleusement ce que les gens m’ont décrit. Pour ce faire, j’ai eu à ma disposition pendant une semaine une ville détruite, que je pouvais détruire encore un peu plus pour les besoins des enregistrements. J’ai donc reconstitué le séisme avec les bruits d’une ville qui a subi le séisme et avec les vestiges de celui-ci. Les témoignages m’offrent quelques contradictions, il y a ceux qui ont entendu et ceux qui n’ont rien entendu. Je fais la part belle aux premiers, quoique…
Cette partie commence par l’alerte au séisme, celle que personne n’a reconnue car personne n’avait jamais entendu une alerte de niveau 7, et le dernier tiers est un maelström de toutes les alertes au séisme. La reconstitution seule aurait pu paraître de mauvais goût, peut-être l’est-elle un peu, c’est le piège de mon dispositif. En tout cas, la reconstitution n’était pas assez violente pour faire éprouver le séisme aux auditeurs occidentaux (je ne parle pas des auditeurs japonais, car mes témoins ont dit redouter la réécoute de cette reconstitution ; il est envisageable qu’elle soit traumatisante pour eux, mais qu’elle ne le soit pas assez pour les Occidentaux). Or cette musique est destinée aux Occidentaux et ne cherche pas à renouveler un trauma auprès des victimes or, pour les premiers, la reconstitution n’est pas à la hauteur de la vraie chose, bien entendu. Le caractère synthétique des signaux d’alerte, diffusés à un nivau adéquat, doit me permettre de donner la nausée aux auditeurs lors des concerts. Il s’agit de faire une catastrophe de sons à partir des alertes au séisme, de façon à faire éprouver un peu le séisme.
Ces alertes synthétiques sont d’ailleurs à comparer avec la presque douceur des alertes au tsunami, avec les sirènes presque douces et les voix quasi rassurantes des haut-parleurs qui susurrent : « T>adaima » (« rentrez chez vous ») dans la partie qui va suivre, conseil dérisoire face au tsunami.
La transition entre le 2 et le 3 est constituée d’une musiquette d’école et d’un sifflet d’enfant imitant un oiseau lors d’une fête (matsuri) à Yumoto, qui font comme entendre un retour à la normale, un son du quotidien, l’œil du cyclone.
3 Tsunami
Je procède comme les gens me l’ont dit, bien que les témoignages soient beaucoup plus contradictoires. En fait le séisme a été un peu la même chose pour tout le monde, alors que le tsunami a généré des cas de figures extrêmement divers. Déjà, il y a tous ceux qui ne sont plus là pour témoigner parce qu’ils n’ont pas su ou pas pu faire ce qu’il fallait. Ensuite il y a ceux qui se sont retrouvés dans le tsunami et y ont survécu, ceux qui l’ont constaté juste à l’écart et ceux qui l’ont vu de loin, ou même ceux qui n’ont pas été au courant du tout sur le moment. Les situations sont très dissemblables et ont généré des expériences très dissemblables.
Le milieu de cette partie fait référence au fait que certains témoins ont insisté sur la présence des hélicoptères. J’ai pu enregistrer des hélicoptères car ils continuaient à sillonner la région un an après, mais j’ai aussi joué l’hélicoptère métaphorique, j’ai passé la musique au hachoir des pales d’hélicoptère, comme si après la catastrophe c’était la guerre, du moins une ambiance de guerre comme l’ont ressenti certains témoins.
Les cinq dernières minutes sont constituées d’un field recording, le post tsunami : les hangars dévastés qui grincent au gré du vent. Ici, je n’ai rien eu à reconstituer, j’avais tout un port écroulé devant moi. Je n’avais même pas besoin d’enregistrer la nuit, car toute la zone industrielle du port était quasiment vide en plein jour. Je n’ai pas soustrait les humains de l’enregistrement, car il n’y en avait plus, même un an après.
4 Suddendeath in Nakoso
Ici, c’est ce que j’évoquais plus haut, M. Ito me dit qu’il réécoute de la musique, encore plus de musique qu’avant les catastrophes, plus triste et plus désespérée, sans se rendre compte qu’il me fait enregistrer Suddendeath du groupe Megadeath !
5 Demolir-reconstruire
La première moitié est constituée d’un field recording légèrement recomposé, les pelleteuses qui démolissent les dernières maisons ayant tenu le coup ou une pince à découper géante qui cisaille des hangars, les outils qui démolissent pour reconstruire ultérieurement.
Les 6 dernières minutes constituent un autre type de reconstruction/déconstruction : toujours en fonction des témoignages, je suis parti de l’enregistrement de la muzak qui, pendant des semaines, a remplacé les publicités à la télévision et à la radio. En effet, les autorités ont estimé que de diffuser des publicités était plutôt abject et qu’il fallait les suspendre le temps que les Japonais se reconstruisent du trauma un minimum. Les autorités ont fait appel à des designers pour combler le vide. Ce dessin animé a été tellement matraqué que l’une de nos interlocutrices a dit s’être retrouvée en manque lorsque les publicités sont revenues. Elle m’a imposé de l’enregistrer pour l’utiliser. De mon côté, la musique et les paroles sont si débiles que je n’ai pu les utiliser telles quelles, et c’est seulement après les avoir broyées que j’ai pu me les réapproprier.
6 L’atome
L’atome sort de mon dispositif au sens strict. En effet, c’est bien connu, les radiations nucléaires sont sans odeur, sans sensation, sans bruit. Alors, bien évidemment, me connaissant, je n’allais pas pousser le dispositif au-delà de ses limites pour faire une dernière plage purement conceptuelle de silence sous prétexte que les témoins m’avaient dit ça. Je n’allais pas non plus refaire Radioactivity1 comme je l’ai tant entendu faire par des compositeurs électro-acoustiques après la catastrophe de Tchernobyl. Non, j’ai choisi de redéployer mon dispositif autrement, de faire une musique qui rende compte du nucléaire par imprégnation, par émergence du contact avec les lieux et des témoignages à propos de la catastrophe atomique. Alors, suis-je tombé dans le cliché ? Toujours est-il que j’ai été influencé par le cliché hollywoodien qui utilise la musique contemporaine pour souligner les situations difficiles, soit ! Mais, en même temps, j’ai tenté de ne pas m’y faire piéger. J’étais conscient de la présence du cliché en embuscade et j’ai essayé de le contourner. L’idée, le sentiment de la musique contemporaine pour relayer les témoignages qui ne viendraient pas s’est imposée au début du séjour. J’avais beau espérer un peu que des témoignages viennent me contredire et m’emmener ailleurs, malheureusement, cela n’a pas été le cas.
Cette partie à été composée en France mais pas au Japon, car les 6 semaines de résidence ont à peine suffi à me permettre de composer le reste de la pièce, 6 semaines c’est déjà assez court pour composer une heure de musique. Cependant, cette partie a été préparée au Japon dans les premières semaines du voyage, lors de la confrontation avec les témoins et dans l’imprégnation que j’en ai eue, c’est très important. J’étais en voyage donc je n’avais pas emporté ma collection de disques. En même temps, je voulais que ça sonne un peu comme mes compositeurs préférés de musique orchestrale, mais je ne voulais avoir recours à aucun sample de Scelsi, ni de Xenakis, de Ligeti, de Lindberg, de Dufourt… Or j’étais en voyage, alors il ne me restait plus qu’à pirater sur Internet ce que je pouvais le soir dans les hôtels, car j’ai senti ce que je voulais faire et je voulais le faire dans cette imprégnation. Ainsi, il me reste une image de cette période de longs voyages en bus (puisque la voie de chemin de fer côtière qui passait contre la centrale n’est plus utilisable ; d’ailleurs, de ce fait, puisque la liaison principale de la région est coupée, tous les trajets sont beaucoup plus longs, c’est ça aussi la catastrophe), l’image de moi dérushant ces kilomètres de mp3 de musique contemporaine le casque sur la tête dans le bus, l’ordinateur sur les genoux, le soleil rasant en hiver toujours dans les yeux. Les virages dans la montagne entre la ville de Fukushima et la ville de Minamisoma, la nausée, à cause des virages et de l’ordinateur. La musique dans les oreilles et la traversée de la zone interdite, non pas la zone des 20km, mais la région de Iitate, la zone qui, bien qu’éloignée, a reçu le vent néfaste et a été évacuée de sa population. La musique contemporaine qui accompagne les patrouilles de police qui dissuadent les gens de revenir chez eux ou de piller les maisons abandonnées. Les décontaminateurs, affublés de leur combinaison blanche, qui essayent de décontaminer Iitate en pulvérisant de l’eau, le soleil rasant dans les yeux et l’envie de vomir qui ne me quittait plus. L’arrivée dans Minamisoma, devenue ville fantôme alors que nous l’avions quittée dans la fête. Une ville avec presque tous les rideaux des magasins baissés, du moins dans la partie avant la gare (l’autre côté de Minamisoma se montrera un peu plus vivant). Voilà, l’impression était là et elle était fortement ancrée en moi.
Je n’ai pas composé au Japon, mais j’ai esquissé les choses sur place. J’avais pris conscience de la forme que cela devrait avoir : il fallait que ce soit le plus lent et le plus pesant possible. Le plus long possible, aussi, pour être presque exaspérant à écouter. Qui dit long, dit long à composer et j’avais décidé de ne pas m’y risquer au Japon, pour me concentrer sur le reste. Il fallait que ce soit long, lent et pesant, il fallait atteindre la torpeur. Il fallait que ça gratte que ça démange que ça dérange. Il fallait aussi que ce ne soit pas trop agréable aux amateurs du langage contemporain, alors j’ai étiré et j’ai répété à un point qui me semblait pouvoir leur déplaire. Et aussi pour que les dissonances ressortent, j’ai pris une technique propre à Kagel, j’ai instillé du consonant dans du dissonant et alors le dissonant le devient encore plus. J’ai répété sans que cela devienne répétitif ni agréable pour les autres. Il fallait que cela soit mélancolique sans que ce soit dramatique. Il fallait que ce soit une torpeur et un spleen qui vous envahissent jusqu’à vous détruire de l’intérieur. J’ai essayé de faire la pire musique que je puisse faire et en même temps de la rendre séduisante, comme un fruit que l’on a cru pouvoir manger un temps, et qui s’est montré pourri en le croquant et qui vous laisse malade les jours suivants, mais je ne sais pas si j’y suis arrivé.
Comment votre engagement passe-t-il dans votre musique ?
C’est un peu comme dit Godard, de mémoire, « Il y a une morale dans un plan de caméra, il faut qu’il y ait une morale dans chaque plan de caméra. » Mais morale n’est pas tout à fait engagement. En fait, ma façon de faire est toujours un peu comme ça, c’est pour ça que je n’ai pas fait la même chose à propos d’Haïti, car pour faire les choses, il faut les faire à fond. Donc n’y connaissant rien pour Haïti, je n’aurais même pas pensé prétendre faire quelque chose. Certaines fois, ça ne se remarque pas car l’enjeu est moins fort, mais là le piège est évident, pour cette thématique où il y a de l’empathie ou des bons sentiments qui peuvent être plaqués. Je n’aime pas rajouter des bons sentiments et souvent l’art, la musique « engagés » sont inintéressants, mièvres, voire contreproductifs. Donc c’est un terrain glissant, dangereux. Mon parti pris a été de faire un constat plus que d’envoyer ou d’assener un message « engagé », puisque les messages sont souvent contre-productifs. Je préfère faire un constat (musical) et c’est l’auditeur qui va se faire son propre message à lui avec ces éléments. Ça me paraît plus intéressant, même si c’est moins simple en terme de message. Ainsi, en quelque sorte, je n’ai pas fait de choix d’engagement, mais je me suis impliqué dans un dispositif d’engagement qui engendre un constat d’où l’auditeur peut se faire sa propre opinion.
L’engagement est ailleurs, il est dans la participation aux actions de Ringono par exemple, mais ce n’est plus de la musique, je préfère dissocier les deux.
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