Otomo Yoshihide

FUKUSHIMA ANNEE 2
une rencontre avec Otomo Yoshihide, 28/29 mai 2012, Fukushima-Chi

Figure charismatique de la scène musicale japonaise et internationale, Otomo Yoshihide est très impliqué dans le débat et les actions issues du mouvement citoyen qui ont émergé au Japon à la suite de la catastrophe du 11 mars 2011. Dans l’urgence et l’émotion, il a réuni autour de lui des amis artistes, intellectuels, militants et des habitants de Fukushima pour tenter d’imaginer une réponse : cela a donné lieu à une première édition du festival Project Fukushima! qui s’est déroulé le 15 août 2011. Les milliers de participants et une large audience internationale, notamment à travers Internet et les différentes initiatives montées en écho dans le monde entier (New York où j’ai eu l’honneur de participer avec webSYNradio à l’invitation de John Zorn, Paris, Londres etc) l’ont encouragé à renouveler l’évènement : le besoin est réel, la catastrophe nucléaire est toujours en cours et la société japonaise est aujourd’hui profondément divisée sur les choix à faire.

Cette année, le programme et l’échelle de la deuxième édition du Festival Project Fukushima! seront sensiblement différents. Premier gros changement, la durée : le festival va se dérouler sur 12 jours, du 15 au 27 août. Sans vouloir dévoiler le contenu (encore top secret), le principe d’une scène ouverte associant des musiciens pros et amateurs est maintenu, un big band qui l’an passé avait permis à chacun d’exprimer colère, tristesse mais aussi et surtout la joie d’être réuni sur une scène et dans un projet commun, alors même que la catastrophe était en train de semer la panique et disperser les gens aux 4 vents.

Autre changement notable, l’essentiel du festival avait eu lieu dans le grand parc municipal de Fukushima (images d’archives ici), cette année, les lieux de représentation seront multiples, avec notamment des évènements prévus sur la voie publique. Ceci est largement emblématique de la nouvelle orientation des organisateurs et leur volonté d’investir l’espace public et de propager l’évènement au delà du simple cadre festif, chose qui n’a pas l’air très simple à mettre en place au Japon et qui a constitué l’essentiel des (longues) discussions auxquelles j’ai pu assister lors de la réunion du 28 mai dans les bureaux de l’association (à écouter ici) : avec comme ordre du jour la nécessité d’impliquer davantage la municipalité pour pouvoir mobiliser rues et avenues au moins pour le jour de l’ouverture du Festival.

A travers ce programme et ce cadre élargi, il s’agit clairement pour Otomo Yoshihide d’afficher une ambition nouvelle qui devra également se retrouver en terme d’audience et de fréquentation, 30000 personnes attendues jusqu’à 300000 espérées. La présence d’artistes venus de l’étranger devrait y contribuer. A ce sujet, Otomo rappelle qu’il n’a pas lancé d’invitation à proprement parler et que sa programmation n’est pas construite de façon orthodoxe. Plus qu’un « booking », elle est liée d’abord à la décision individuelle des artistes de se rendre à Fukushima, ce qui compte tenu des risques d’exposition (bien réels : voir la vidéo réalisée récemment à Fukushima City par l’activiste Iori Mochizuki ) est tout sauf anodin. Qui veut vient, en toute connaissance de cause. Avis aux musiciens français et autres !

Otomo a conscience que cette ambition élargie (plus de lieux, de moyens, de personnes et de territoires impliqués, d’artistes et de nationalités, de communication, de budget, de temps de préparation, de gestion des feeds backs etc) lui fait quitter les territoires familiers de l’underground et une communauté intellectuelle choyée et bien en place après 30 ans d’une pratique musicale intense.

Otomo Yoshihide assume cependant ce changement d’échelle et ce nouveau territoire, car il perçoit à quel point il est aujourd’hui nécessaire d’inscrire et consolider toute action dans le temps long. Le japon est à un moment crucial de son histoire (pas uniquement sur la question du nucléaire, précise t-il) et les japonais doivent se préparer ensemble pour une longue traversée : qu’il chiffre en dizaine d’années et dont il évalue déjà les immenses difficultés pour la cohésion nationale. Il y a quelques jours (samedi 26 mai 2012) a eu lieu une manifestation de la droite nationaliste dans les rues du centre de Fukushima, les manifestants diffusaient notamment des musiques datant de la deuxième guerre mondiale. Ambiance ! (et fieldrecordings réalisé par Koji Nagahata à écouter ici : les musiques militaires dans le lointain atteignent jusqu’au coeur de la forêt.)Cette récupération politique n’est pourtant que l’une des formes de la division qui aujourd’hui travaille toute la société, soit en aggravant des failles existantes (Tokyo la grosse machine technoide et cosmopolite versus Fukushima la provinciale) soit en exaltant les problématiques directement liées à la catastrophe (opposition sur la question énergétique entre pro et anti nucléaire, affrontement dans les choix de civilisation majeurs que cela recouvre).

Autant de fractures violentes – qualificatif qui revient tout au long de notre entretien – que Otomo Yoshihide souhaite réduire, comme on parle de « réduire » une fracture. Et cette mission qu’il assigne au Festival Project Fukushima! comme l’an passé reste sans message ni slogan : bulle vide que chacun peut remplir avec sa propre parole, l’essentiel étant qu’une parole soit encore possible en ces temps de misère.


Retrouvez le projet “Et pendant ce temps là à Fukushima”, tous les lundis sur radio Campus Bruxelles et à la rentrée sur France Musique dans les émissions du GRM.
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